L'histoire de Jack Parker (ancienne rédactrice de Madmoizelle) est en train de faire le tour du web: agressée sexuellement dans le métro, elle s'est défendue, et a raconté son histoire sur Tumblr. Résultat: des messages de soutien, mais aussi de nombreux messages d'insultes, expliquant (en gros) qu'une fille qui porte une jupe et/ou qui cherche à être jolie n'a pas à se plaindre d'être agressée. Alors maintenant, je vais vous raconter l'histoire d'une autre fille qui a été agressée: la mienne. Ou pourquoi les agressions n 'ont rien à voir avec les jupes ou le maquillage.

Il y a plusieurs années, j'ai été hôtesse d'accueil, en job d'été. Dans le cadre de cet emploi, je portais un tailleur "de fonction". Pas une jupe courte, pas un truc spécial beau: juste un tailleur jupe basique d'hôtesse d'accueil. Je n'avais jamais porté de jupe dans le métro (j'étais arrivée en région parisienne six mois auparavant, et m'étais déjà faite pas mal ennuyer sans jupe, donc je n'osais pas). Mais là, vu que c'était mon uniforme...

Je l'ai porté deux semaines sans incidents. Et puis un jour, j'ai senti une main contre mes cuisses. Il y avait du monde, on connaît l'effet sardine, je me suis donc un peu décalée, comme je le pouvais vu le monde. Et là j'ai senti la main remonter d'un coup sec entre mes cuisses. Direct. J'ai hurlé.
Et j'ai vu une petit vieux, style cinquantenaire, rougir. Et me dire cette phrase complètement hallucinante "je cherchais la barre". Entre mes cuisses? Alors que tu l'as dans la main?

Ca ne paraîtra rien pour beaucoup de gens. Rien du tout. Sauf que ce n'est pas rien, quelqu'un qui essaie d'enfoncer ses doigts dans votre sexe au milieu d'une rame de métro bondée. C'est dégueulasse. C'est insultant. Après ça, on a juste l'impression d'être un bout de viande. Car la personne qui fait ça, elle n'en a rien à faire de ce qui vous êtes, ce que vous aimez, ce que vous aimez faire, ce que vous ressentez: vous êtes juste un bout de viande. Un peu comme un Big Mac. Tout ce que vous êtes, hors chair, s'envole.
Autant dire qu'après celà, j'emmenais mon tailleur avec moi, et me changeais dans les toilettes, en arrivant au travail. Oui, j'ai mis ça sur le compte de la jupe. Sans jupe, pas d'agression dans ma tête. J'ai d'ailleurs aussi progressivement arrêté de me maquiller pour sortir, à cette époque. Pas de provocation.

Je me balladais donc en jean, gros manteau, pas maquillée. Et puis deux ans plus tard, alors que je traversais un parking, pour rentrer chez moi, à 17H30, en hiver, dans une ville huppée de banlieue parisienne, je me suis sentie suivie. J'étais suivie. Mais la personne m'a dépassée. Un ado, qui devait avoir 5 ans de moins que moi. Je me suis sentie idiote d'être aussi parano.
Et puis 30 mètres plus loin, alors que je dépassais un kiosque à journaux fermé, quelqu'un m'a enserrée en arrivant par derrière. Il m'avait attendue. Ca a été hyper rapide. Il a mis direct un main sur les seins, l'autre "au panier". Ca a du durer trois secondes. Et il est parti en courant. Et je ne sais pas pourquoi, l'adrénaline, mais j'ai couru derrière lui, mais impossible de le rattraper.

Voilà. Encore une fois, c'est rien. Juste tripotée. Encore une fois, de la viande. Encore une fois je n'étais plus personne. Même si ce n'était rien.
Et pourtant cette fois-ci, pas de jupe, pas de maquillage. Un jean, un gros pull, un gros manteau. Tout pour passer inaperçue. Et pourtant...

J'ai un peu plus de trente ans aujourd'hui. Ces deux "riens" m'ont complètement marquée. J'ai du quitter la région parisienne, et la France pour commencer à me détacher de ça. Et recommencer à être un peu féminine. Parce que pendant longtemps, j'ai tout fait pour tout cacher. J'avais honte de faire la moindre chose pouvant me rendre un minimum "jolie". Et aujourd'hui encore, j'ai toujours cette arrière pensée,que je combats de toute mes forces. Vous imaginez ça? Cacher mes cernes, détacher mes cheveux...J'ai toujours en arrière-pensée qu'il s'agit d'une provocation. Que si je ne veux plus être traitée comme une chose, je dois délaisser mon "enveloppe corporelle". Heureusement que j'ai rencontré mon mari, qui m'a permis de surmonter ça. Qui m'a encouragée, qui a envie que sa femme soit jolie. Qu'elle ne se cache plus de ce qu'elle est. Qu'elle n'ait plus honte de ce qu'elle.

Car entre temps, je me suis faite traiter de salope. Plusieurs fois. Je me suis faite arrêter dans la rue, pour me dire que j'avais une bouche à bite. J'ai du supporter, dans le métro, d'autres mains placées "par accident" sur mes fesses...on ne peut rien dire...on se demande si on est parano...on se dit qu'on les attire. Il y a eu d'autres histoires, d'autres mots...Malgré le fait qu'on rase de plus en plus les murs. Malgré le fait qu'on essaie de ne surtout pas croiser le regard. Parce que juste un regard, et ça peut dégénérer.

Je parle de ce que je connais, la région parisienne. Et la région parisienne, c'est dégueulasse. Pour les hommes et les femmes. Mais c'est encore pire pour les femmes. 
Nous ne sommes rien. Nous sommes des tas de viandes. Les histoires de jupe, de maquillage, de provocation, c'est n'importe quoi. Tout est prétexte. Car RIEN n'est fait pour protéger les femmes et TOUT est provocation de la part des femmes. 

Baissez les yeux, rasez les murs, priez et laissez-vous faire. C'est le message envoyé actuellement.

Alors merci  à Jack d'avoir cassé la figure de son agresseur. Merci à toutes ceux et à toutes celles qui ont un jour aidé une personne agressée, ou en passe d'être agressée. J'ai la rage contre les agresseurs, mais aussi contre tous ceux qui disent que ce n'est rien, tout ceux qui rient de ces situations, tous ceux qui les justifient, et tous ceux qui cherchent des excuses.

Tout le monde devrait pouvoir sortir dans la rue sans crainte d'attouchements. Sans regarder par dessus son épaule. Sans raser les murs. Sans s'interdire certaines heures, certaines rues. Sans avoir la peur au ventre en prenant certaines lignes.

Ce qui se passe en France est une honte, et trop peu en parlent. Je n'ai pas porté plainte. Plainte contre quoi? On m'aurait ri au nez. J'ai du vivre avec la peur que ça recommence par contre. Combien d'autres comme moi?

Encore une fois: merci Jack. Je n'ai malheureusement pas la plume pour exprimer aussi bien qu'elle ce que je ressens. Alors merci à d'avoir réagi, et d'avoir écrit.

"Tous ceux qui se frottent contre moi dans le métro, qui mettent leur main un peu trop près de la mienne sur la barre pour me caresser du bout de leur doigt, qui m’attrapent des mèches de cheveux au vol, qui laissent trainer leur main à 1mm de ma cuisse et qui profitent de la moindre secousse pour parcourir la distance restante “accidentellement”, qui me dissèquent et me déshabillent longuement du regard sans la moindre pudeur, qui poussent des “hmmmmm…” sur mon passage, qui m’ordonnent de sourire pour eux, de leur dire bonjour, de leur répondre, d’aller prendre un verre avec eux, de les suivre chez eux, de monter dans leur bagnole, de leur filer mon numéro, la liste est longue putain, et ça me fout la gerbe. 
Ça me gonfle, ça me gonfle, ça me gonfle, et je sais pas quoi faire, et je peux rien y faire, et ça m’énerve, et j’en ai marre, et ça me gonfle, et putain, sortez-moi de là. "